Sans-abri - Migrants

Merci à Natacha Karl, auteure et poète. Extrait du 30 juin 2014
Initialement publié dans "Visages de silence" - Les pas perdus
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Les Statues
Dans le jardin public il y a des statues. Certaines quittent leurs poses à chaque instant. D’autres sont figées, crispées dans une souffrance palpable. Des personnes font corps avec le banc public. Elles sont là ramassées sur leur siège, comme coulées dans le plomb, comme si réellement elles étaient devenues statues, rivées au sol sans piédestal par un sculpteur impitoyable. Leurs détresses sont impénétrables. La douleur a densifié leurs traits.
Avant d’être devenus statues ceux-là marchaient ; maintenant, ils sont tombés sur un banc quand il leur reste encore le goût de respirer, le goût de regarder. Sinon, on les retrouve, par terre dans la rue, avec parfois un chien, un bout de carton griffonné posé devant eux, une casquette, un bonnet, un pot ouvert sous les mains du passant.
Parfois une pièce tombe dans leur pauvre escarcelle; parfois des mots, parfois un sourire rencontre leurs yeux, souvent des yeux baissés, le plus souvent des pas pressés dans une indifférence forcée par la peur de tomber.
Les nouvelles statues de nos villes sont vivantes, sans piédestal. Elles ont l’immobilité de la peur. Elles ont la beauté de la vie. La crudité de la malchance.